dimanche 22 février 2009

Et si le livre devenait (enfin) un objet à la mode?





Barack Obama tout sourire, un livre à la main, saluant une foule enamourée sous le crépitement des flashs…

Lors de ses fréquentes sorties publiques, la même scène insolite se répète, allègrement relayée et commentée par des médias peu habitués durant les années Bush, ce n’est rien de le dire, à devoir verser dans le registre culturel. Désireux d’inscrire son action sous les auspices prestigieux de grands auteurs et de personnages illustres de la vie politique américaine, Barack Obama cultive l’image d’un président profondément à l’écoute des difficultés quotidiennes de ses concitoyens, bien entouré par une pléiade de conseillers compétents, féru d’art et…lisant beaucoup. La Bible et Saint Augustin, les grands noms bien sûr de la lutte contre la ségrégation (Baldwin, Ellison, Wright), Toni Morrison et Doris Lessing (prix Nobel en 1993 et 2007), Shakespeare, Melville, Primo Levi, Steinbeck ou l’incontournable Hemingway (véritable porte-bonheur des candidats à la présidence) sont parmi ses auteurs de prédilection.


Mais ses lectures n’auraient probablement pas suscité autant d’intérêt s’il n’avait été photographié à plusieurs reprises ces dernières semaines avec Lincoln : the Biography of a Writer de Fred Kaplan ou l’essai de Fareed Zakaria, The Post-American World. Héritier spirituel de Mandela, de Gandhi, de Luther King et de Lincoln, Barack Obama imprime sa marque dans l’espace médiatique d’une manière qui détonne avec ses prédécesseurs, davantage portés au conservatisme, en plaçant résolument son début de mandat sous le signe du dialogue, de la curiosité intellectuelle, de l’ouverture d’esprit et de la modernité.

Quel homme politique dans notre pays s’est jamais fendu de ses dernières lectures pour signifier à ses concitoyens l’avancée de sa réflexion ? La posture de Barack Obama prend d’autant plus de relief dans un monde en crise que les options traditionnellement mises en avant pour en sortir laissent peu de place à la réflexion sur le sens de l’Histoire. Nicolas Sarkozy ne s’y est d’ailleurs pas trompé : plus occupé dans les premiers mois de sa présidence à faire supprimer des concours administratifs l’épreuve de culture générale en souvenir d’une “rencontre” douloureuse avec La Princesse de Clèves, il n’a eu de cesse devant le tollé provoqué de déclamer un amour passionné pour les romans (Dumas, Le Clézio et Gallo trôneraient, dit-on, sur sa table de chevet) après en avoir dit trop longtemps le plus grand mal.

Effet de mimétisme ou désir de redorer son image en faisant vibrer la corde culturelle, il y a tout lieu de s’amuser autant que de se réjouir du retour en grâce de l’objet dans le quotidien des puissants et par ricochet dans le nôtre. Se pourrait-il que le salut du livre vînt de là où on l’attendait le moins, du champ politique et des jet-setistes qui finiront bien par trouver très smart de s’afficher dans les soirées courues avec le dernier Assouline ou une vieille édition de La Cité de Dieu ? Dans nos sociétés tout entières tournées vers le divertissement, l’amusement à outrance, le dénigrement de la culture et la régression vers les territoires de l’enfance, prédire la bonne fortune du livre pourrait bien par certains côtés ne pas être totalement dénué de clairvoyance, ni être si subversif que cela. Relégué dans le milieu scolaire au rang d’objet incongru et source de contraintes par des élèves utilisant par commodité d’autres supports pour nourrir leur univers, connoté négativement par toute une partie de la population estimant à tort ou à raison son contenu inaccessible, les jours du livre papier paraîtraient comptés s’il ne bénéficiait pas rapidement d’un véritable “plan de relance”, pour adopter un vocabulaire très en vogue.

Avec Barack Obama comme porte-drapeau jouissant d’une aura au-delà des frontières, nul doute que les dîners en ville résonneront de commentaires sur ses lectures ! Pourquoi ne pas imaginer les montées de marche des festivals de cinéma, les campagnes promotionnelles des grandes marques et les “Unes” des magazines people se consteller du précieux ornement ?

Bien entendu, il faudra plus d’une mandature couronnée de succès du quarante-quatrième président des Etats-Unis, d’une vedette en vogue subitement éprise de lecture, d’une starlette du petit écran narrant ses dernières émotions livresques et plus d’une figure de proue littéraire pour assurer une énième jeunesse au Livre. Gageons toutefois que dans les mois à venir les publicitaires sauront surfer sur la vague venue d’outre-Atlantique et habilleront leurs cibles du nouvel accessoire de mode. Tablons que la tendance à peine amorcée nous amène un jour à nous moquer du manque d’inspiration des professionnels du livre pendant des années. Caressons le rêve que les possesseurs du précieux sésame prendront le temps d’en ouvrir un jour les pages et se laisseront porter vers d’autres horizons. Guettons l’apparition de l’objet dans les mains des mannequins, sur les plages-arrières des nouveaux carrosses ou aux côtés du dernier portable 3G. Et souvenons-nous que Marilyn Monroe, loin des clichés de la jolie blonde écervelée dans lesquels ses contemporains et la postérité ont eu trop tendance à l’enfermer, était une grande lectrice : Joyce, Fitzgerald, Kafka et Nabokov avaient ses faveurs. Rien de moins. Qui prendra la suite dans le paysage médiatique ?


jeudi 19 février 2009

Les mémoires d’un dilettante


Somme de souvenirs personnels et de partis pris mandarins, listes foutraques d’aphorismes et de bons mots, l’Encyclopédie capricieuse du tout et du rien appartient à la catégorie très smart des objets littéraires non identifiés qu’une postérité bienveillante s’empressera probablement, dans le doute, de ranger au rayon des incunables. Exécrant la médiocrité de ses contemporains au point de paraître par moments bien seul du haut de son perchoir, vomissant le petit peuple des ignares n’ayant jamais lu dans le texte les œuvres souveraines de Xénophon (Qui n’est pas une marque d’ampoule…NDLR) ou ne connaissant pas l’histoire de Romulus Augustule (Qui ?), caressant dans le sens du poil tous les matous de son espèce préférant les vacances hors saison à Venise ou New York  aux frais de la princesse, où tout n’est que luxe, calme et volupté, aux séjours en famille (les enfants, quelle horreur !) au milieu de la plèbe, Dantzig pousse l’excentricité jusqu’à sembler vouloir instruire le péquin moyen du sacro-saint bon goût en matière de savoir-vivre, de littérature, de manière de se tenir dans les dîners en ville, de voyage, de spectacles à voir et à ne pas voir, de télévision, de vie de famille…

Reconnaissons-le : l’homme est brillant, cultivé, amusant, moqueur, convaincant dans ses diatribes les plus virulentes. Il est aussi affreusement snob, prévisible dans ses choix, pédant, poseur et péremptoire. Les huit-cent pages de son encyclopédie (qui n’en est, bien entendu, pas une) ont l’impertinence et l’éclat d’une pierre précieuse trop mal taillée pour être sertie : des listes absconses à force d’érudition voisinent avec d’autres paraissant avoir été écrites à la va-vite sur un bout de nappe et d’autres encore, les plus remarquables, toutes de finesse, de sensibilité et de drôlerie. Ainsi s’amuse-t-il des « mères s’excusant de l’absence de leurs enfants, persuadées qu’ils passionnent l’univers », définit-il le grincheux comme « quelqu’un qui se crée volontairement des mauvais souvenirs » et assène-t-il un brin sentencieux « Aimez vos enfants, ça fera un peu moins de monstres. Pas trop, ça ferait des inaptes ». Certaines phrases, isolées, perdues au milieu de sentences, sonnent pourtant comme des aveux murmurés à demi-mot :

« Qui écrit une liste cherche à émouvoir, fait connu de qui la lit ».

Nous y voilà ! Décanté de ses outrances et de ses rodomontades, son texte, dans son dernier tiers, dévoile l’intimité d’un homme camouflant ses fragilités et ses doutes derrière des frénésies de lecture, de connaissances, d’écriture, de départs incessants vers les mêmes lieux rassurants (littéraires ou réels). D’une mémoire capricieuse ne retenant que ce qui fait le miel d’une vie, Dantzig a tiré une biographie à tiroirs dans laquelle il fait bon se perdre, à condition de faire une escale prolongée avec lui sur les terres hospitalières de l’amour et de l’imaginaire : « J’ai toujours accepté qu’on m’aime, mais en me fichant la paix. Quelle erreur. L’amour qui n’aime rien tant que déplacer les meubles s’échappe devant tant d’ennui. Il est moins difficile de savoir aimer que de savoir être aimé ». Ses enthousiasmes, ses ruminations nombrilistes, ses inimitiés journalistiques (savoureuses pages sur les critiques littéraires), ses attaques contre l’esprit de l’époque et ses tartufferies résonnent dès lors différemment. Dans le questionnaire de Proust, il répond à la question “Qui auriez-vous aimé être ?” par “Un impudique” qui en dit long sur un sens inavoué et peut-être involontaire de l’autodérision. S’il pérore sur « le métier de ma vie [qui] a consisté à chasser le passé. Je ne sais plus la date de mort de mes grands-parents, de mon père, de mon frère. Le célibataire se délie de la vie_ sang, transmission, lien. Il est retourné à la poussière avant la mort », il concède à maintes reprises son regret d’être le dernier d’une lignée familiale sur le point de s’éteindre. Comment savoir dès lors dans quelles phrases se dissimulent les vérités de cet homme de plume nous ayant ouvert les portes de sa demeure ?

Invitant en guise de fausse conclusion les lecteurs à qui il resterait encore un peu de souffle à constituer leurs propres listes, on ne peut s’empêcher de regretter que Charles Dantzig n’ait pas pensé à écrire la liste de ses meilleures blagues, histoire d’achever de nous convaincre d’être un homme de bonne volonté. Au risque évidemment de se voir gratifier d’obscures citations latines pas piquées des vers. Le snobisme a ses travers…

 

« Si les hommes étaient…

…consciencieux comme les Américains

…spontanés comme les Italiens

…abstraits comme les Français

…amicaux comme les Irlandais

…calmes comme les Canadiens

…réservés comme les Anglais

…détachés comme les Arabes

ils seraient parfaits ».

 

 « Le philosophe Chrysippe (IIIe s. av. J.-C.) serait mort de rire en voyant un âne manger des figues. L’humour des philosophes nous fait parfois douter de leur esprit ».

« J’ai assez tendance à penser que les autres ont raison, et j’ai parfois tort ».

 

Charles Dantzig, Encyclopédie capricieuse du tout et du rien, Grasset.

mercredi 4 février 2009

Sur la plage de Chesil


Chronique d'une désillusion annoncée...

Dans une station balnéaire sur la côte du Dorset, un jeune couple se déchire au cours d'une nuit de noces mettant au jour la nature véritable de leurs sentiments et les faux-semblants d'une société britannique sur le point de céder à la vogue du Swinging London et aux sirènes de la libération sexuelle. De facture très académique, d'une concision confinant parfois au dépouillement dans la description qu'il fait des à-côtés factuels de l'histoire, Ian McEwan confirme, si besoin en était, son art du portrait doux-amer de personnages emportés par les courants contraires d'un destin qui ne les ménage souvent que pour mieux signer leur défaite finale.

L'histoire de Florence et d'Edward possède en apparence tous les atours d'une comédie romantique à l'intrigue cousue de fil blanc : rencontre improbable entre deux êtres aux passions conciliables_ elle, violoniste de talent, caresse l'idée de jouer un jour Mozart avec son Quatuor Ennismore au prestigieux Wigmore Hall, lui, se pique de devenir un biographe de renom _, cristallisation amoureuse, idéalisation de l'Autre et projet de vie en commun. Un vent mauvais souffle pourtant dès les premières pages sur des prémices aussi favorables : aveuglés par tant de bonnes grâces, les deux jeunes gens ne prennent pas le temps de s'ouvrir l'un à l'autre, de s'interroger pour comprendre leurs silences, les esquives et les non-dits de leurs conversations.

Les émotions affleurent lors de promenades idylliques dans la campagne anglaise pour aussitôt battre en retraite, les sentiments se déclament pour obtenir des faveurs et des préliminaires qui ne feront qu'attiser de nouvelles frustrations. Leur incuriosité, le respect des convenances, l'impatience de leur jeunesse les amènent à faire des choix ne tardant pas à s'apparenter à des renoncements.

McEwan ne ménage pas ses personnages et ne nous cache rien d'un quotidien terne à force « d'ennui et de désirs mêlés », de compromis s'apparentant à des déroutes, d'interrogations éperdues sur les désirs de l'autre ou des entorses consenties aux belles résolutions conclues dans les rares moments d'abandon. « La société n'évolue jamais partout au même rythme » souligne-t-il, comme pour excuser leur chemin d'errance dans les faux plis de l'amour.

L'auteur de Samedi, d'Expiation et d'Amsterdam (romans tous parus chez Gallimard) les accompagne du regard, sans les juger ni leur faire endosser tout le poids de leur méprise. « [Edward] découvrait qu'être amoureux n'avait rien d'un état constant, qu'on était sans cesse à la merci d'élans, de vagues comme celle qui l'assaillait à présent ». Murés dans leurs angoisses de ne pas être à la hauteur de l'événement, l'esprit accaparé par des pensées funestes et peu flatteuses (« Comment avouer ce léger soulagement à l'idée qu'elle n'était pas seule, que lui aussi avait un problème? »), Florence et Edward n'en sauront probablement pas plus sur l'amour après le fiasco de cette première et dernière nuit ensemble. Mais le récit de leur capitulation poursuivra ses lecteurs comme une mélodie entêtante sortie du propre violon de Florence. La marque d'un grand livre.

 

Ian McEwan, Sur la plage de Chesil, Gallimard.