samedi 29 novembre 2008

New York stories...



L'immense dais de poussière recouvrant le quartier de Lower Manhattan après les attentats du 11 septembre a disparu, balayé par les vents atlantiques et la volonté des New-yorkais de voir s'ériger au plus vite un édifice à la mémoire des victimes et...des rêves de gloire et d'orgueil de leur ville. Orpheline de ses deux Babel de verre, New York fascine les imaginaires, de ses propres habitants comme des touristes-pèlerins, exalte les symboles de sa prospérité insolente en incarnant à elle seule toutes les réussites et les dérives d'un système capitaliste en roue libre, tient la plume de ses écrivains en restant sourde aux complaintes des laissés-pour-compte peuplant ses immeubles-corridors. En faisant de leur ville le personnage éponyme de leurs romans, les Selby Jr, DeLillo, Mc Inerney et autres Easton Ellis, Auster ou Tosches (pour ne prendre que quelques-uns des auteurs new-yorkais les plus emblématiques) ont souligné l'incroyable vitalité de ses quartiers, leurs contrastes saisissants échappant à toute tentative de classification, la profusion d'images et d'émotions suscitées par les façades rutilantes et les avenues huppées, les zones insalubres et leurs enseignes fanées, sa violence quotidienne et ses bataillons de policiers.

Capitale culturelle et creuset artistique, New York n'en reste pas moins, dans sa démesure comme dans les fantasmagories qu'elle suscite, fondamentalement changeante et insaisissable : il existerait autant de représentations différentes de la ville selon Colson Whitehead, le très prometteur auteur du Colosse de New York. Une ville en treize parties, que d'habitants et de visiteurs : « Dans cette cité sans voiles, il y a huit millions de cités sans voiles, en désaccord et en dispute. Le New York où vous vivez n'est pas mon New York à moi : comment pourrait-il en être autrement? Dès qu'on tourne la tête, la ville croît et se multiplie. (...) Avant même de vous en rendre compte, vous vous êtes bâti votre paysage urbain ». A la tombée de la nuit, Whitehead l'imagine déplacer ses tours et ses pions comme sur un échiquier : animée d'intentions paradoxales susceptibles d'agir sur l'équilibre mental de quiconque arpenterait ses rues, la cité porte en elle la mémoire des moindres faits et gestes. « La ville vous connaît (...) car elle vous a vu quand vous êtes seul. Elle vous a vu vous blinder pour l'entretien d'embauche, rentrer tard, d'un pas lent, après le rendez-vous amoureux, trébucher sur des obstacles imaginaires du trottoir. Elle vous a vu vous crisper quand l'unique goutte glaciale est tombée du climatiseur du douzième étage et ne vous a pas raté. (...) Elle vous a vu remonter la rue, presque en courant, après avoir reçu les clefs de votre premier appartement ».

Posant un regard à la fois pénétrant et drôle sur l'époque, il peint, dans treize tableaux évoquant tour à tour les topographies légendaires de chacun, les rituels collectifs dans des lieux chargés de mémoire (Central Park, le pont de Brooklyn, Broadway, Times Square...), les facéties du ciel et les effets étranges produits par chaque averse, le ballet des masques à la sortie des bureaux et les rêves d'évasion, le portrait d'une ville que l'on quitte à regret en sachant au fond de soi qu'un lien aussi indéfinissable qu'indéfectible nous lie désormais à elle : « Et puis l'avion s'incline dans sa fuite et par-dessus l'aile grise la ville éclate au regard dans tous ses kilomètres, ses clochers, son tourbillon insondable, et en essayant d'embrasser ce spectacle vous comprenez que vous n'avez jamais été à New York ».

Grady McNeil, le personnage principal du roman de Truman Capote, La traversée de l'été, ne peut, elle, se résoudre à quitter la Grosse Pomme et ses tentations estivales. Profitant du voyage de ses parents sur un transatlantique à destination de l'Europe pour se délivrer des chaînes de l'enfance et assouvir son désir d'indépendance, cette adolescente devient au long d'un récit ajouré de nombreux sous-entendus sur la difficulté de renoncer à ses propres chimères le symbole d'une jeunesse gouvernée dans les années quarante déjà par des passions hédonistes. La traversée de l'été est au demeurant un ouvrage de facture classique faisant le récit des frasques sentimentales et tragiques d'un couple improbable, au dénouement et à l'étude de caractères très convenus qui décevra sans doute un peu les lecteurs amoureux de la verve de l'auteur de Prières exaucées et de Petit déjeuner chez Tiffany.

Devant sa survie selon le préfacier Charles Dantzig à la “cupidité parieuse d'un concierge”, ce livre posthume oublié (?) de Capote lui-même s'inscrit pleinement dans la lignée des romans new-yorkais annonçant en creux la révolution des moeurs des décennies suivantes. Cela fait-il pour autant de Capote un écrivain visionnaire comme d'aucuns ont pu le souligner? Il n'est pas certain qu'il s'agisse là de son plus grand talent...


Colson Whitehead, Le Colosse de New York. Une ville en treize parties, Gallimard, coll. Arcades.

Truman Capote, La traversée de l'été, Lgf, coll. Le Livre de Poche.

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