samedi 29 novembre 2008

What a wonderful world?


Au sortir d'une campagne longue et dispendieuse, menée sur fond de querelles fratricides dans les rangs du Parti démocrate, de séisme financier, de crise du crédit et de craintes sur l'emploi dans le secteur industriel, le programme porté par Barack Hussein Obama a raflé les suffrages d'un électorat multi-ethnique lassé des mécomptes de l'administration Bush et peu convaincu par le ticket conservateur McCain/Palin pour incarner le changement. La perspective de sa nomination le 20 janvier prochain à la Maison Blanche par le Collège électoral nouvellement élu a suscité de part le monde des rassemblements spontanés et des scènes de liesse collective tranchant singulièrement avec l'anti-américanisme ambiant de ces dernières années. La presse internationale s'est faite l'écho de l'enthousiasme de ses partisans et du discours tout en retenue du perdant, les chaînes de télévision ont diffusé en boucles les pleurs d'émotion du controversé révérend Jesse Jackson, chantre du Mouvement des droits civiques depuis l'assassinat de King et véritable trait d'union entre les époques.

Obama, candidat d'une Amérique réconciliée, égalitariste et soucieuse de définir une nouvelle grammaire du vivre-ensemble et des relations entre communautés? A voir, car au-delà des discours définitifs sur l'effondrement de la barrière raciale, des effets d'annonce sur l'émergence d'une nouvelle Amérique et de la portée historique du basculement d'un Etat du Dixie comme la Virginie dans le camp démocrate, les attentes des plus démunis (et du reste du monde) risquent bien d'être rapidement déçues vu l'ampleur des difficultés, la faiblesse de la marge de manoeuvre budgétaire, l'absence d'une majorité de 60% au Sénat et la personnalité même d'Obama, faite de pragmatisme et de rigueur. Si son élection a permis contre toute attente à l'Amérique de récupérer un peu de son leadership moral dans le concert des nations, si elle doit sans doute davantage à la lassitude des classes moyennes qu'à la couleur de sa peau, l'événement n'en est pas moins historique à plus d'un titre.

La lecture du livre en tous points remarquable de Nicole Bacharan, Les Noirs américains. Des champs de coton à la Maison Blanche aux Editions du Panama permet de prendre toute la mesure du chemin accompli par une nation divisée depuis ses origines sur la question raciale et la place des gens de couleur en son sein. De l'Institution particulière à la guerre civile, du XIIIème amendement à la Constitution abolissant dès 1865 l'esclavage au laxisme invraisemblable des tribunaux lily-white dans les Etats où sévissaient les suprémacistes blancs et le Ku Klux Klan, de la résistance passive prônée par Martin Luther King aux “Burn, baby, burn!” des émeutiers de Los Angeles, elle retrace avec exigence et probité, sans autre parti pris que celui de la vérité historique, quatre siècles de tensions raciales et d'inégalités sociales chroniques, de promesses intenables et d'espoirs déçus, d'avancées législatives notoires (sous la présidence Johnson en particulier), de marches courageuses et d'actions en justice. Les figures légendaires se succèdent, voisinant avec des élus reléguant trop souvent, par contrainte ou par choix, la question noire au second plan des priorités.

Nul ne sait aujourd'hui si le jeu des nouvelles allégeances électorales signe dans les faits la fin d'une page sombre, constitutive de l'histoire même du pays. Les effets pervers induits par la déségrégation mise en oeuvre dans le système éducatif, les vives réticences exprimées de part et d'autre de l'échiquier politique vis-à-vis de l'action affirmative, la surpopulation carcérale des afro-américains, les ravages de la drogue et du crime dans des métropoles de plus en plus désertées par les élites blanches et les entreprises, le difficile accès aux postes à responsabilité dans les espaces politique et administratif seront quelques-uns des indicateurs suivis de près par une population n'ayant jamais cessé, en dépit des épreuves et des drames, de proclamer sa loyauté et son attachement à l'égard de son pays.

« L'Amérique est vraiment un pays extraordinaire! » avait déclaré tout sourire la Secrétaire d'Etat “Condi” Rice au soir de la victoire d'Obama lors des dernières primaires démocrates. Comme un écho à la Lettre de la prison de Birmingham rédigé en avril 1963 par Martin Luther King, incarcéré pour s'être rendu coupable d'actes de désobéissance civile : « Nous obtiendrons la liberté à Birmingham et dans tout le pays, parce que le but de l'Amérique, c'est la liberté. Si maltraités et méprisés que nous soyons, notre destin est lié à celui de l'Amérique... ».

 

Nicole Bacharan, Les Noirs américains. Des champs de coton à la Maison Blanche, Editions du Panama.

Voir également l'excellent blog de Pap Ndiaye http://electionsamerica.canalblog.com/

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