Barack Obama tout sourire, un livre à la main, saluant une foule enamourée sous le crépitement des flashs…
Lors de ses fréquentes sorties publiques, la même scène insolite se répète, allègrement relayée et commentée par des médias peu habitués durant les années Bush, ce n’est rien de le dire, à devoir verser dans le registre culturel. Désireux d’inscrire son action sous les auspices prestigieux de grands auteurs et de personnages illustres de la vie politique américaine, Barack Obama cultive l’image d’un président profondément à l’écoute des difficultés quotidiennes de ses concitoyens, bien entouré par une pléiade de conseillers compétents, féru d’art et…lisant beaucoup. La Bible et Saint Augustin, les grands noms bien sûr de la lutte contre la ségrégation (Baldwin, Ellison, Wright), Toni Morrison et Doris Lessing (prix Nobel en 1993 et 2007), Shakespeare, Melville, Primo Levi, Steinbeck ou l’incontournable Hemingway (véritable porte-bonheur des candidats à la présidence) sont parmi ses auteurs de prédilection.
Mais ses lectures n’auraient probablement pas suscité autant d’intérêt s’il n’avait été photographié à plusieurs reprises ces dernières semaines avec Lincoln : the Biography of a Writer de Fred Kaplan ou l’essai de Fareed Zakaria, The Post-American World. Héritier spirituel de Mandela, de Gandhi, de Luther King et de Lincoln, Barack Obama imprime sa marque dans l’espace médiatique d’une manière qui détonne avec ses prédécesseurs, davantage portés au conservatisme, en plaçant résolument son début de mandat sous le signe du dialogue, de la curiosité intellectuelle, de l’ouverture d’esprit et de la modernité.
Quel homme politique dans notre pays s’est jamais fendu de ses dernières lectures pour signifier à ses concitoyens l’avancée de sa réflexion ? La posture de Barack Obama prend d’autant plus de relief dans un monde en crise que les options traditionnellement mises en avant pour en sortir laissent peu de place à la réflexion sur le sens de l’Histoire. Nicolas Sarkozy ne s’y est d’ailleurs pas trompé : plus occupé dans les premiers mois de sa présidence à faire supprimer des concours administratifs l’épreuve de culture générale en souvenir d’une “rencontre” douloureuse avec La Princesse de Clèves, il n’a eu de cesse devant le tollé provoqué de déclamer un amour passionné pour les romans (Dumas, Le Clézio et Gallo trôneraient, dit-on, sur sa table de chevet) après en avoir dit trop longtemps le plus grand mal.
Effet de mimétisme ou désir de redorer son image en faisant vibrer la corde culturelle, il y a tout lieu de s’amuser autant que de se réjouir du retour en grâce de l’objet dans le quotidien des puissants et par ricochet dans le nôtre. Se pourrait-il que le salut du livre vînt de là où on l’attendait le moins, du champ politique et des jet-setistes qui finiront bien par trouver très smart de s’afficher dans les soirées courues avec le dernier Assouline ou une vieille édition de La Cité de Dieu ? Dans nos sociétés tout entières tournées vers le divertissement, l’amusement à outrance, le dénigrement de la culture et la régression vers les territoires de l’enfance, prédire la bonne fortune du livre pourrait bien par certains côtés ne pas être totalement dénué de clairvoyance, ni être si subversif que cela. Relégué dans le milieu scolaire au rang d’objet incongru et source de contraintes par des élèves utilisant par commodité d’autres supports pour nourrir leur univers, connoté négativement par toute une partie de la population estimant à tort ou à raison son contenu inaccessible, les jours du livre papier paraîtraient comptés s’il ne bénéficiait pas rapidement d’un véritable “plan de relance”, pour adopter un vocabulaire très en vogue.
Bien entendu, il faudra plus d’une mandature couronnée de succès du quarante-quatrième président des Etats-Unis, d’une vedette en vogue subitement éprise de lecture, d’une starlette du petit écran narrant ses dernières émotions livresques et plus d’une figure de proue littéraire pour assurer une énième jeunesse au Livre. Gageons toutefois que dans les mois à venir les publicitaires sauront surfer sur la vague venue d’outre-Atlantique et habilleront leurs cibles du nouvel accessoire de mode. Tablons que la tendance à peine amorcée nous amène un jour à nous moquer du manque d’inspiration des professionnels du livre pendant des années. Caressons le rêve que les possesseurs du précieux sésame prendront le temps d’en ouvrir un jour les pages et se laisseront porter vers d’autres horizons. Guettons l’apparition de l’objet dans les mains des mannequins, sur les plages-arrières des nouveaux carrosses ou aux côtés du dernier portable 3G. Et souvenons-nous que Marilyn Monroe, loin des clichés de la jolie blonde écervelée dans lesquels ses contemporains et la postérité ont eu trop tendance à l’enfermer, était une grande lectrice : Joyce, Fitzgerald, Kafka et Nabokov avaient ses faveurs. Rien de moins. Qui prendra la suite dans le paysage médiatique ?