mercredi 4 février 2009

Sur la plage de Chesil


Chronique d'une désillusion annoncée...

Dans une station balnéaire sur la côte du Dorset, un jeune couple se déchire au cours d'une nuit de noces mettant au jour la nature véritable de leurs sentiments et les faux-semblants d'une société britannique sur le point de céder à la vogue du Swinging London et aux sirènes de la libération sexuelle. De facture très académique, d'une concision confinant parfois au dépouillement dans la description qu'il fait des à-côtés factuels de l'histoire, Ian McEwan confirme, si besoin en était, son art du portrait doux-amer de personnages emportés par les courants contraires d'un destin qui ne les ménage souvent que pour mieux signer leur défaite finale.

L'histoire de Florence et d'Edward possède en apparence tous les atours d'une comédie romantique à l'intrigue cousue de fil blanc : rencontre improbable entre deux êtres aux passions conciliables_ elle, violoniste de talent, caresse l'idée de jouer un jour Mozart avec son Quatuor Ennismore au prestigieux Wigmore Hall, lui, se pique de devenir un biographe de renom _, cristallisation amoureuse, idéalisation de l'Autre et projet de vie en commun. Un vent mauvais souffle pourtant dès les premières pages sur des prémices aussi favorables : aveuglés par tant de bonnes grâces, les deux jeunes gens ne prennent pas le temps de s'ouvrir l'un à l'autre, de s'interroger pour comprendre leurs silences, les esquives et les non-dits de leurs conversations.

Les émotions affleurent lors de promenades idylliques dans la campagne anglaise pour aussitôt battre en retraite, les sentiments se déclament pour obtenir des faveurs et des préliminaires qui ne feront qu'attiser de nouvelles frustrations. Leur incuriosité, le respect des convenances, l'impatience de leur jeunesse les amènent à faire des choix ne tardant pas à s'apparenter à des renoncements.

McEwan ne ménage pas ses personnages et ne nous cache rien d'un quotidien terne à force « d'ennui et de désirs mêlés », de compromis s'apparentant à des déroutes, d'interrogations éperdues sur les désirs de l'autre ou des entorses consenties aux belles résolutions conclues dans les rares moments d'abandon. « La société n'évolue jamais partout au même rythme » souligne-t-il, comme pour excuser leur chemin d'errance dans les faux plis de l'amour.

L'auteur de Samedi, d'Expiation et d'Amsterdam (romans tous parus chez Gallimard) les accompagne du regard, sans les juger ni leur faire endosser tout le poids de leur méprise. « [Edward] découvrait qu'être amoureux n'avait rien d'un état constant, qu'on était sans cesse à la merci d'élans, de vagues comme celle qui l'assaillait à présent ». Murés dans leurs angoisses de ne pas être à la hauteur de l'événement, l'esprit accaparé par des pensées funestes et peu flatteuses (« Comment avouer ce léger soulagement à l'idée qu'elle n'était pas seule, que lui aussi avait un problème? »), Florence et Edward n'en sauront probablement pas plus sur l'amour après le fiasco de cette première et dernière nuit ensemble. Mais le récit de leur capitulation poursuivra ses lecteurs comme une mélodie entêtante sortie du propre violon de Florence. La marque d'un grand livre.

 

Ian McEwan, Sur la plage de Chesil, Gallimard.

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