Quarante années de réforme institutionnelle et d’ouverture plus ou moins heureuse à la modernité culturelle, de refonte permanente des programmes, de pédagogisme et de massification ont eu raison des plus ardents défenseurs de l’égalitarisme scolaire. L’école républicaine, qui tirait gloriole de la figure en majesté du maître, homme de grande culture recruté au terme d’un concours difficile, trônant devant un parterre d’élèves en uniforme buvant religieusement ses paroles, a vécu. Désormais, les beaux discours sur cet âge doré s’égrènent, tout emplis de nostalgie, parfois sur les lèvres de ceux qui n’ont pas eu l’insigne honneur de fréquenter ses bancs ou connu la joie d’essuyer un jour une plume Sergent Major sur un buvard. Les images associées à l’école d’antan ont la vie dure et le prestige dont elle est auréolée n’est pas, il faut le reconnaître, par certains côtés sans fondement.
La France en a désormais pris l’habitude. Les rentrées se succèdent avec en filigrane leurs cortèges d’effets d’annonces, de projets mort-nés, de déclarations d’intention, de constats catastrophistes sur la baisse du niveau de connaissances et de compétences des élèves, de défilés plus ou moins téléguidés par des syndicats aux aguets et un corps enseignant contesté par des jeunes pour qui l’utilité sociale des études est plus que jamais incertaine. Le malaise est si profond que toutes les mesures, aussi judicieuses soient-elles, paraissent inadaptées, insuffisantes, homéopathiques au regard de la vocation d’origine assignée à l’école : favoriser l’égalité des chances en dépit du jeu des hiérarchies scolaires, accompagner l’élève dans le difficile apprentissage de la vie en société, transmettre des valeurs au fondement du vivre-ensemble républicain.
François Dubet l’avait très judicieusement souligné en 2002 dans sa remarquable étude Le déclin de l’institution parue aux éditions du Seuil : « bien que l’école ait gardé le monopole de la culture académique, elle n’a plus le monopole de la culture ouverte, de celle qui permet de voir plus loin que son monde domestique, et bien des adolescents sentent qu’ils peuvent grandir sans l’école avec la culture de masse ». De l’absence de goût pour la lecture des collégiens au constat amer des enseignants détournés de leur travail pédagogique par la nécessité épuisante de rasseoir chaque jour leur autorité, le sanctuaire scolaire paraît n’être plus arpenté que par les tout derniers gardiens du temple. Dans les quartiers sensibles où se conjuguent plus qu’ailleurs chômage, petite délinquance, insécurité, phénomènes de groupe, absence de mixité, handicap scolaire, sentiment d’exclusion, tentations extrémistes et rêves de promotion sociale inaccessible, le temps passé dans l’enceinte d’un collège constitue encore pour quelques jeunes une période de calme relatif au milieu d’adultes s’inquiétant de leur sort : « Au fond, les professeurs, notamment ceux des collèges et des classes faibles, réalisent une activité de contrôle et de socialisation encore proche de celle des instituteurs, mais ils ont l’impression qu’elle les détourne de leur véritable activité, celle de la conversion intellectuelle des élèves ».
Dans le cadre d’un programme ministériel de parrainage de collèges “ambition réussite” par des écrivains, Danièle Sallenave a accompagné l’an passé deux classes de troisième du collège de la Marquisanne à Toulon. Gallimard publie son journal de bord, « Nous, on n’aime pas lire », dans lequel elle dresse un état des lieux pertinent, sans concession, mais au final très convenu sur la question de la place du livre et de la lecture dans le quotidien des jeunes. Farouche opposante, aux côtés de Régis Debray et de Jacqueline de Romilly du projet de réforme initié en son temps par Claude Allègre, elle s’était élevée contre les méthodes d’argumentation en vogue dans l’enseignement et dans les manuels scolaires visant moins à développer le sens critique et la réflexion de l’élève qu’à promouvoir son opinion et ses tendances narcissiques. Son très court séjour d’immersion au cœur d’un collège pilote relativement favorisé en termes de moyens a confirmé toutes ses craintes : « je suis écrasée par l’accumulation des preuves d’une sollicitude, d’une attention constante, totale, à ces enfants dits “défavorisés”. Ecrasée, oui je maintiens le mot : écrasée par le contraste entre les efforts déployés et leurs résultats ».
Aux élèves doutant de l’utilité de la lecture, du respect des règles d’orthographe, d’un rapport « bien constitué avec les mots », elle tient des propos se voulant rassurants : « mieux vaut lire un seul livre qui vous transforme que d’en lire cent qui ne vous font ni chaud ni froid » ; « Lire devrait être (…) une expérience de la vie, la connaissance ou l’anticipation, à travers des situations fictives, de ce que c’est que vivre, c’est-à-dire se réjouir et avoir peur, aimer, désirer ». Face à des enseignants parfois désabusés de devoir mettre en place d’épuisantes stratégies pour déjouer la défiance des jeunes et à des bibliothécaires ne voyant pas âme qui vive de la journée dans des locaux flambant neufs, elle répond par une énième volée de bois vert contre les « balivernes constructivistes » empêchant le lecteur en herbe de voyager dans les textes et d’en percevoir la richesse. Difficile de lui donner tort mais n’était-il pas légitime d’attendre de sa part autre chose que certains poncifs mille fois rebattus ?
Un hiatus apparaît ainsi à l’instant même où elle présente à son jeune auditoire le programme de leurs trois séances en commun : alors que l’on aurait pu s’attendre, eu égard à la virulence de ses critiques contre les artifices pédagogiques imposés par le système éducatif, à ce qu’elle mette les élèves en contact avec un texte éminemment littéraire (histoire de marquer le coup) susceptible d’être apprécié par eux, elle leur soumet sa propre pièce de théâtre, non publiée, écrite dans les années quatre-vingts, très datée de son propre aveu mais mettant en scène des adolescents du même âge. Les élèves avaient pour mission d’en réécrire les dialogues avec leurs mots et s'en sont acquittés sans difficulté. Pas sûr toutefois que l’exercice n’ait pas nourri chez eux une forme d’autosatisfaction à bon compte et les ait amenés à « se dégager plus aisément d’une oralité qui laisse la langue (et l’esprit) dans une fluidité et une incertitude déconcertantes ».
Si Danièle Sallenave réclame sans grande originalité plus de professeurs, de meilleurs salaires, des formations mieux adaptées, « beaucoup de temps avec des livres », elle en appelle aussi dans le même élan à davantage de « liberté pédagogique », à la restauration du rapport triangulaire maître/élève/savoir et à la découverte des…grands textes qui « sont une méditation sur l’existence, la finitude, les conflits, l’expérience intérieure, le tragique de toute vie ». De l’art du grand écart entre la théorie et la pratique…
Danièle Sallenave, « Nous, on n’aime pas lire », Gallimard.
François Dubet, Le déclin de l’institution, Seuil.
Parution L'Hebdoscope, 11/03/09.
2 commentaires:
Lire fait grise mine et pleurer pâlit sur tous les fronts
Tendant la page quand les morveux veulent l’écran
On trouve peu d’érection sur le torchis cramoisi d’une reliure
Quand le gamin espère une projection 3D depuis une salle de projection
Qui tient dans la poche sur bandoulière d’un microbe
L’homme regarde interloqué les satrapes passer l’arme à gauche
Quand les yeux se dérident sur les photos des manuels scolaires
Depuis des imageries scalaires où les satires ont la fierté démonstrative
Des vieux pense-bêtes qui faisaient les notes d’écolier
Quand encore en costume les gamins sortaient après la cloche
D’un unique préau où les naïvetés attendaient la débauche de la majorité
Pour trouver le vagin des mille torpeurs où les verges allaient paître
L’ennemi juré de la doctrine est ce fichu progrès qui gangrène
Le lac salé où les trombes ne font plus le courant
Projeté sur d’autres bras de mer atomisés par les indépendances
Quand ne restent des cahiers que les papiers buvards
Sous les couches de calques qui remuent les polycopiés
D’un côté à l’autre de la salle de classe les spirales font des avions
Plantant un couteau dans le dos d’une maîtresse sur l’estrade
Dépassé par les événements d’une jeunesse passée d’âge
Cherchant le tampon et la capote plutôt que les presses et les ogives
Entre un monde filaire et les photons du wifi qui file une échappatoire
Quand les prématurés sous albumine vont passer un encéphalogramme
En reniflant la longue traîne des barbares qui cueillent en silence
Les boutons d’or sur les joues d’un landau
À l’âge de l’enfance où l’enfance est enfance
Parce que tous les âges de la vie évoluent avec l’hygiène intime
Qui fécondent les bactéries de l’ivresse au revers d’une bille
Dans la cours de récré qui jouent à la marelle
Pendant que le directeur sonne la cloche à l’hygiaphone
Et que les papiers sentent le méthylène de la reproduction
Un alcool de rotatif sur un cyclostyle qui embaume le stencil
Où les gamins se shootent pour sniffer les polymères enrubannés
Le long de l’écume des livres qui pagaient dans un vilain dortoir
Quand les bibliothèques meurent après le joug de leur désertion
Car l’âme a pris l’image holographique de Youtube
Où se référencent les catacombes narcissiques des moi-mois sous forfaits
Échangeant 2+2 24/7 sur Msn ou les chatrooms des MMORPG obscurs
La vie ayant passé l’arme à gauche où les directions confluent de rien
Parce le souvenir de l’âme cartographiée est toujours une conduite de la morale
Opposant les rites funéraires du passé aux encolures de la nouvelle donne
Parce qu’un adulte est la proie de son enfant étudiant avant d’être écolier
Parce que je n’aime pas lire – Calaferte ou Lautréamont – alors j’écris !
Et tant pis si je rabâche ce papier macéré par les collures du surjoué
Ravi que quelques mots jetés sur la Toile pour rendre compte d'une lecture un peu déçue suscitent tant de mots inspirés...
Lautréamont et Calaferte ne vous ont pas transporté dans leurs ailleurs? Qu'à cela ne tienne, l'univers du livre est si vaste!!!
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