lundi 8 décembre 2008

Triple "je"


Alerté par des riverains ayant aperçu deux sacs suspects flotter dans les eaux du fleuve, un lieutenant de police, installé depuis peu dans la cité perpignanaise, découvre le corps sans vie d'un inconnu atrocement supplicié. L'enquête, du ressort de la Police Judiciaire, lui est pourtant confiée par le Parquet, en raison d'un mystérieux billet envoyé au bureau du Procureur semblant établir une relation entre l'assassin et lui.

Solitaire et plein de rancoeur après l'échec de son mariage, le lieutenant Bruno Layette n'aime rien tant que les aléas et les contraintes d'un métier difficile, ses moments de grande tension et sa routine dans lesquels il parvient à oublier quelque peu le vide de son existence.

L'arrivée d'une jolie collègue chargée de le chapeauter remue en lui de mauvais souvenirs et le renforce dans l'idée d'être passé à côté de sa carrière comme de sa vie personnelle. Au fil des jours, les scènes de crimes se succèdent, insoutenables et signant une grande perversion chez leur(s) auteur(s). Aucun lien ne permet cependant de relier les victimes entre elles, aucun élément dans la vie du lieutenant n'offre de prise permettant d'orienter les investigations dans une direction et de trouver un mobile. L'enquête piétine et délie les langues des deux officiers davantage que des témoins convoqués dans leur bureau.

Proposant le point de vue du lieutenant lui-même, le récit, écrit à la première personne et entrecoupé parfois par les extraits du journal intime de la jeune femme, gagne en épaisseur à mesure que leurs rapports évoluent sous la contrainte des événements. Obligé d'ouvrir quelques tiroirs de son passé pour tenter d'y voir plus clair, Layette navigue à vue au milieu d'un océan de perplexité et de questions sans réponse. Malgré son désir de comprendre, un sens développé de la déontologie et la présence rassurante de Caroline, son équilibre mental est un peu plus ébranlé à chaque découverte d'un nouveau cadavre, toujours porteur d'un message à son intention.

Roman psychologique accumulant les impasses et les faux-semblants pour mieux égarer le lecteur, Le rédempteur de la Têt est un polar sombre, violent, levant le voile sur la folie d'un tueur méthodique d'autant plus inquiétante et insaisissable que les indices pour s'en faire une représentation plausible manquent jusqu'au dénouement final. Parfaitement orchestré, le suspense ne s'embarrasse pas de descriptions d'extérieurs, de l'évocation des rumeurs inquiètes parcourant les ruelles de la ville ou des relations tendues de Layette avec sa hiérarchie (l'un des poncifs du genre).

Laurent Boyet parvient à instiller le doute dans l'esprit de ses personnages autant que dans celui de ses lecteurs : sur quel suspect concentrer ses soupçons? Faut-il se fier aux mauvais pressentiments du lieutenant Layette ou à l'intuition toute féminine de sa coéquipière?

Le monde dans lequel ils évoluent n'est pas sans rappeler par moments l'atmosphère saturée, poisseuse des meilleurs opus de la remarquable série Engrenages, diffusée sur Canal Plus, sans son décorum télégénique. Gage s'il en est du savoir-faire d'un auteur, Capitaine de police à...Perpignan, à découvrir séance tenante.

 

Laurent Boyet, Le rédempteur de la Têt, Cap Béar éditions.

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