Leon Hubbard,
un ange noir dans le ciel de Philadelphie...
Inspiré d'un passage à tabac aux conséquences tragiques dont il a lui-même été victime au début des années quatre-vingt lorsqu'il était chroniqueur au Philadelphia Daily News, Pete Dexter, l'auteur des chefs-d'oeuvre Deadwood et Train, nous livre avec God's Pocket un opus dans la plus pure tradition du roman noir. Une vraie réussite à découvrir séance tenante.
En plein coeur de God's Pocket, au Hollywood Bar se côtoie à toute heure du jour et de la nuit une faune interlope de travailleurs pauvres et de piliers de comptoir, de jeunes désoeuvrés et de prostituées au coeur brisé. Sur de faux airs de confidence et de complicité éthyliques, les rumeurs les plus extravagantes prennent corps et les langues se délient pour faire ou défaire les réputations. Les projets d'escroqueries à l'assurance fleurissent comme des évidences, les trafics et les petits arrangements entre amis se négocient le sourire aux lèvres, la batte de base-ball dans le coffre de la voiture pour régler les différends.
Quelques âmes vivant là à demeure rappellent à une assistance prête à en découdre aux moindres mots de travers des bribes d'anecdotes décrivant en creux l'histoire légendaire du quartier. « Il y avait des gens à Fishtown, à Whitman ou au Pocket qui ne franchissaient jamais les limites de leur quartier. Qui ne prenaient pas plus souvent le bus pour aller dans le centre qu'à Cuba, qui se mariaient entre voisins et n'avaient aucun secret les uns pour les autres. Ils n'étaient pas nombreux, mais quand un étranger arrivait, ils ne lui facilitaient pas la tâche ». Comme d'autres secteurs de Philadelphie à l'identité forte, le Pocket possède ses règles propres, ses lois contraignantes et ses figures imposées : la communauté n'entrouvre ses bras que pour mieux étouffer ceux qui auront eu le malheur de se croire enfin acceptés.
Les personnages centraux du livre en feront les uns après les autres les frais et l'amère expérience. Celui dont la mort va précipiter les événements et faire basculer la vie de ses proches, Leon Hubbard, une petite frappe locale tuée sur un chantier pour avoir voulu jouer au dur avec un ouvrier en bâtiment, Old Lucy, de cinquante ans son aîné. Les porte-flingues de la mafia liquidés par une fleuriste octogénaire à l'esprit alerte et à l'adresse insoupçonnée. Mickey Scarpato, le beau-père de Leon, s'apercevant à ses dépens au fil des jours combien la bonne volonté et les petites voix intérieures sont parfois mauvaises conseillères. Jeanie Scarpato, la mère éplorée de Leon, trouvant dans son désir de justice le courage (ou la lâcheté) de caresser à nouveau ses rêves de jeune fille.
A God's Pocket, toute disparition tragique ressoude pour un temps les liens communautaires au risque qu'éclatent par endroits des foyers de violence aussi brève qu'incontrôlée. Le journaliste vedette du Daily Times Richard Shellburn le sait mieux que quiconque. Chaque semaine, il brosse avec une tendresse désormais feinte, dans une chronique lue par la ville entière, l'âme désabusée mais fière des quartiers, les destins inextricablement liés, les tentatives d'accommodement avec la réalité employées par chacun pour s'échapper d'un quotidien sans perspective. Il finira par payer cher lui aussi ses rêves d'ailleurs et son désir d'évasion avec la femme d'un autre. On ne quitte pas le Pocket, ni la cité de “l'amour fraternel” sans y avoir été autorisé. Le lecteur est prévenu...
Pete Dexter, God's Pocket, Editions de l'Olivier
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