dimanche 25 janvier 2009

Manifeste pour une république de lecteurs


Depuis la mise en ligne des premiers billets à l'automne 2004 jusqu'au drôlatique C'est vrai ça : pourquoi tant de haine? du 5 octobre dernier dans lequel il épingle les vrais-faux expatriés Houellebecq et B.-H.L. (« Mini-Baudelaire et Malraux Junior : quel casting! ») et la promotion tapageuse de leur livre Ennemis publics (Flammarion/Grasset), le blog de la “République des livres (http://passouline.blog.lemonde.fr/) de Pierre Assouline est devenu pour nombre d'intervenautes”, d'éditeurs et de passionnés de la “chose” littéraire un rendez-vous incontournable.

Ses chroniques quotidiennes, érudites et informées, rendent compte de l'actualité du livre et des auteurs avec un talent proportionnel à l'intensité des réactions que chacune d'elles provoque désormais. « Il se pourrait que l'internet renoue avec l'art perdu de la conversation du temps où l'on n'attendait justement aucun résultat efficace et nul retour sur investissement de la compagnie des autres ».

Etonné de la virulence des disputes et de la tournure prise par certains débats, Assouline s'interroge à bon droit sur ces lecteurs férus de littérature se cachant derrière des pseudonymes pour faire étalage de leurs opinions, de leurs coups de coeur ou de leur mépris à l'endroit d'auteurs consacrés ou des accointances parfois douteuses du milieu avec les médias et les politiques. Dans une longue préface dans laquelle il revient sur la genèse de son projet et sur les réflexions que lui inspirent les cent-cinquante-mille (!) commentaires générés par ses propres articles, l'auteur de Lutétia, d'Etat limite et de nombreuses biographies ouvre des pistes de réflexion pour tenter d'expliquer l'ampleur et la permanence d'un succès le contraignant à respecter un calendrier de publication scrupuleux sous peine de se voir à son tour apostropher et rappeler à l'ordre (!).

Parmi les quelques six-cent commentaires écrits sous X sélectionnés (d'intérêt au demeurant très inégal) figurent des perles parvenant presque à faire oublier le sujet initial de la discussion : entre bons mots, citations et hommages littéraires, changements brusques de registres et idées fixes se profile un portrait de groupe témoignant d'un commun désir de converser, souvent pour le simple plaisir de rivaliser par plumes interposées.

« [Il y a sur ce blog] un sentiment d'être avec un groupe d'exilés, une ultime secte, une espèce en voie de disparition, et il y a, souvent, chez les blogueurs, ici, sur ce site, curiosités, fantaisies_ les plus exquises _et des hargnes et des empoignades, des colères, des naïvetés, quelque chose de moqueur souvent, que j'aime. Ce blog est un formidable artichaut de personnalités. Et ces réactions me font mieux comprendre ce qu'est la lecture, les emballements, parfois les oeillères. Bref quelle terrasse pour enfin voir bavarder les vrais lecteurs » (Paul Edel, 17 juin).

Si aucun article du maître de cérémonie ne vient malheureusement replacer dans leur contexte les papiers choisis, au prétexte de leur « laisser vivre leur vie », si l'écriture même de cette chronique a donné par instants l'impression de participer à la grand-messe de la Raison blogosphérique en ajoutant une nouvelle ligne aux commentaires sur les commentaires, Brèves de blog n'en demeure pas moins un objet littéraire passionnant pour ceux qui réfléchissent, controversent (tiens, tiens...) et s'interrogent sur l'avenir de l'écrit et de la lecture à l'ère du numérique.

 

Pierre Assouline, Brèves de blog. Le nouvel âge de la conversation, Editions des Arènes.

4 commentaires:

Fishturn a dit…

Il y a, dans l’acte de bloguer, et sur Internet en général…un encouragement vivace à l’anonymat.
L’anonymat se pratique à l’aube, à l’heure ou la ville sort péniblement de sa torpeur, ou bien alors tard le soir, quand les enfants sont couchés, que les couples s’enfoncent profond dans les canapés, devant la télé.
Le blogueur anonyme se débarrasse alors de son identité de la journée, il délaisse son manteau social sur le dos de la chaise. Il se sert un café ou un thé. Il s’installe sur son petit bureau cosi, coincé entre la plante artificielle et la lampe Ikea. Enfin installé, le voici prêt à entamer son petit plaisir solitaire dans de secrètes activités cérébrales.
Patiemment, savamment, un sourire courtisan au coin des lèvres, il pratique des associations d’idées tortueuses, il fait sa petite fête à l’imagination. Il se délecte des délices de la pensée, libre dans une petite solitude feutrée, comme une récompense de fin de journée.
Le blogueur anonyme est satisfait, il entretient son petit mystère et partage avec un public d’autres anonymes gagnés d’avance, son goût pour la dissidence bourgeoise et la subversion un peu frustrée. Il prend son temps, choisi ses termes, entreprend sa rédaction patiente, méditant ses adjectifs et son verbe, n’omettant jamais de consulter son petit dictionnaire des synonymes toujours posé à côté de lui.

Le blogueur anonyme, il se recrute dans toutes les couches de la société, de l’homme de lettres au petit comptable, du boulanger à l’ingénieur en aéronautique.
Internet lui offre cela, la possibilité d’entretenir l’anonymat non plus dans sa notion d’être perdu dans la masse, mais plutôt dans celle d’endosser une seconde peau telle une vocation jusqu’ici injustement méconnue.
Et quels mystères en vérité ? On serait bien ennuyé de parvenir à les percer. Savoir que derrière celui qui se cache, derrière cette bête de sexe, ce petit génie satyrique, ce défenseur de la veuve sans l’orphelin, ce critique acerbe de la politique, ce jongleur des mots, ce poète inconnu, il n’y a pas bien grand-chose à cacher. Rien de condamnable, rien de ridicule, rien de singulier, rien même de bien honteux. On serait bien avancé de le voir là, remplir sa machine à laver, chercher ses clés de voitures, gronder les gosses qui mettent encore des miettes sur le canapé, pester contre le voisin qui passe la tondeuse le dimanche. A vrai dire, son secret ne vaut même pas le coup. Comme toutes ces questions qu’on se pose à propos de ce vieil ami d’adolescence qu’on à perdu, qu’on imagine parti vivre en Inde, et puis qu’on retrouve à Roubaix, et qui nous raconte le cancer de Roseline, la petite dernière qu’a raté son bac, Mireille et son accouchement difficile et puis Jean Paul qui est encore au chômage. Voilà tout ce qu'on peut trouver finalement derrière tout ça. Mais enfin, ils y tiennent quand même les blogueurs à leur anonymat, ça leur laisse des possibilités, exister dans les pensées des autres, dans les rêves des autres, dans leurs rêves à eux…


Fishturn (Blogueur anonyme)

-Juste un vieux texte, ressorti ici pour toi ;-)-

jhartleyb a dit…

La blogosphère et ses avatars (dans tous les sens du terme) n'offre-t-elle pas précisément ce que notre mode de vie, les médias et le voyeurisme ambiant tendent à vouloir nous contester?
Un sentiment de liberté, la possibilité de pouvoir enfin endosser une identité-refuge libérée des entraves de la norme et réconfortante pour l'esprit (au risque de la platitude), le désir de vivre dans une niche accessible aux seules personnes de notre choix, sans autre censeur que soi-même?
D'autres époques ont interrogé leur(s) dieu(x), les sages et leurs livres, les Anciens pour trouver l'apaisement. Je crains que nous n'ayons plus grand monde vers qui nous tourner, à part nous-même ou les grands Textes.
Est-ce bien rassurant? Sommes-nous à la hauteur de nos questions, des lecteurs à la hauteur des oeuvres essentielles mises entre nos mains?
Bof, bof comme dirait l'autre :-)

Fishturn a dit…

Mon texte se voulait provocateur et appelait cette réflexion. Le monde de l'intime prend le pouvoir, le nouveau monde repose les identités à l'horizontale. C'est la résultante, une révolte un peu sage, dans une société dominatrice qui annihile les désirs individuels. Ce qu'abordait très bien Deleuze.

Caillou a dit…

Il n'y a pas un blog, comme il n'y a pas un individu type... Voilà ce que je notais il y a quelques mois :

S’évader, s’arrêter, se transformer, continuer, les solutions pour le petit bloggueur sont variées. Il y a ceux, apparemment indifférents, qui imperturbablement tracent leur chemin, ceux qui s'amusent, ceux qui s'ennuient, ceux qui veulent qu'on les écoute, qu'on les comprenne, chacun y va de ses petits mots, au quotidien, accrochés à la fenêtre, en attente... ces paroles anodines sont au coeur de nos existences, qu’elles se donnent l'air important ou qu’elles soient insignifiantes, elles racontent toujours notre essentiel. Elles délivrent nos mots, les déposent et espèrent, qu'ils seront attrapés, transfigurés, que le monde changera et nous avec. Tout ça est bien sûr voué à l'échec, inéluctable.

Chaque blog est un petit morceau d'univers qui brille dans la nuit, projeté dans un monde insensé, une étincelle. Perdus dans l'immensité, notre petite sphère tourne, soumise à deux forces qui l'orientent, l'amour et le désespoir... Chacun occupe une planète qui gravite dans son sytème solaire virtuel. Nous sommes hors sujet, égarés, nous trémoussant comme des marionnettes folles dont le mécanisme nous échappe. Aveugles et muets, nous nous regardons sans nous comprendre, établissant des rapports imaginaires avec des ectoplasmes qui, parfois, nous hantent. Suspendus au-dessus de notre vide, nous vivons sans corps, dépendant d’une illusion qui résiste parce que n’ayant d’autres limites que celles que nous supportons, assis, enivrés derrière notre écran, seuls maîtres au monde...

Je ne sais pas pourquoi vous écrivez, on écrit, voilà. Moi, je m’amuse, j’ai horreur de faire des trucs qui servent à quelque chose, qui répondent à un besoin ou à une nécessité supposée. Aujourd’hui, j’aime vous lire, je vous connais très bien, pas dans votre joli costume d’apparence, mais dans votre vieux pyjama d’intérieur. Une pensée chaleureuse et bienveillante m’accompagne quand je suis ici avec vous, sans engagement, sans contrainte. Vous pouvez vous arrêter, passer à autre chose, peu importe, je vous garde une place, quelque part, vous m’appartenez, je vous invente chaque jour...